Partie 1 ●
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Texte de Benjudkins, traduit et adapté par Véronique
Les premières représentations du hudiedao : gravures occidentales d’armes chinoises
Il était rare de
voir des collections d’artefacts chinois de quelque ordre qu’ils soient dans
les années 1820 et 1830. La situation changea toutefois durant la première et
la seconde guerre de l’Opium. Les guerres de l’opium sont des conflits motivés
par des raisons commerciales qui opposèrent la Chine de la dynastie Qing,
voulant interdire le commerce de l’opium sur son territoire, à plusieurs pays
occidentaux, voulant le continuer, au XIXème siècle. Le
développement des échanges qui suivit ces conflits, l’ouverture de nouveaux
ports, et la création et le développement de Hong Kong, ont tous créé de
nouvelles zones où les citoyens chinois et occidentaux pouvaient se rencontrer
et échanger des biens, des artefacts et matériaux culturels. Malheureusement
ces rencontres et échanges ne se faisaient pas toujours dans la paix et un
grand nombre d’armes chinoises furent rapportées en Europe en tant que
trophées. En leur qualité d’arme chinoise mystérieuse, les doubles couteaux
furent représentés très rapidement sur des photos, ou des gravures.
En 1844, le London
Illustrated News publia une intéressante description de ce qui avait été
trouvé, et on y voit une gravure d’armes chinoises saisies par la Royal Navy et
présentées à la Reine Victoria. En plus d’un certain nombre d’armes à feu
archaïques la Navy avait saisi une grande quantité de hachoirs à deux mains,
qui ressemblent assez à ce qu’aujourd’hui les artistes martiaux appellent des
Pu Dao (arme utilisée par l’infanterie, à la lame large et au long manche, dont
on suppose qu’elle servait à couper dans les jarrets des chevaux). Mais, mis en
avant sur la gravure, nous voyons quelque chose de très familier !
L’article accompagnant la gravure parle d’une « lame avec deux tranchants
et une garde moderne ». J’ai en effet vu un certain nombre de hudiedao
avec un côté de la lame faussement affûté mais je ne crois pas en avoir vu qui
soit réellement tranchant des deux côtés de la lame.
Une autre gravure remarquable peut être vue dans Travels in Tartary, Thibet and China, d’Evariste R Huc’s (Londres 1852). Cet ouvrage, contrairement à d’autres, ne se focalise pas uniquement sur le matériel militaire. Mais on y trouve une gravure tout à fait fascinante. Les modèles qui y sont représentés étaient des trophées rapportés au Royaume-Uni dans les années 1840 et 50. Il est même possible que certaines aient été des pièces de la collection de Nathan Dunn, à ce moment-là décédé et dont la collection avait été vendue aux enchères chez Sotheby en 1844.
Au milieu de l’image
on voit un set de hudiedao : deux épées avec de longues lames étroites,
une garde en D, dans un seul fourreau. Il est difficile toutefois d’imaginer
leur taille.
Tandis que les hudiedao étaient donc présents en Chine du sud dans les années 1820, il fallut attendre les années 1850 pour en entendre parler sur la côte ouest de l’Amérique. La plupart des Chinois qui ont émigré en Californie, pour travailler dans les mines ou à la construction du chemin de fer, venaient de Fujian et Guangdong. Ils amenèrent avec eux leur dialecte, leur mode de fonctionnement social, leurs tensions, et leur tendance à la violence entre groupes rivaux, et évidemment, leurs armes.
Les articles de
journaux et leurs illustrations de cette époque nous fournissent un bon sujet
d’étude de ce qu’aujourd’hui nous considérons comme des armes « d’arts
martiaux ». Il va de soi que pour les immigrants de 1850 c’étaient tout
simplement des armes.
A l’époque les côtes
de Guangdong et Fujian étaient littéralement infestées de pirates, et les
terres intérieures de brigands, et on a longtemps pensé que les hudiedao
étaient l’apanage de cette frange de la société criminelle. On dit aussi que
les doubles couteaux étaient les couteaux des pirates de rivières.
Peut être, mais je
n’ai pas pu trouver de preuve de ce lien en Chine. Toutefois une étude de ces
armes renforce l’opinion qui veut qu’elles aient été l’arme de prédilection des
Tongs, gangs qui chapeautaient le « milieu » dans la communauté
Sino-Americaine.
Dans une gravure
produite par le « Wild West Office, San Francisco » on peut
voir une bataille entre deux Tongs rivaux à Weaverville en octobre 1854. Plus
tôt dans l’année les deux groupes, Tuolomne County’s Sam Yap Company et
Calaveras County Yan Wo Company, étaient déjà arrivés à la limite de
l’affrontement.
Les deux groupes ont
commencé à commander des armes (y compris casques, épées et boucliers) aux
artisans locaux, et ont passé des mois à s’entraîner en tant que milices. Le
Sam Yap company commanda 150 baïonnettes et mousquets à San Francisco et
engagea 15 entraîneurs blancs. La Yan Wo Company a peut être aussi eu accès à
des armes à feu, mais était généralement plus pauvrement armé.
Les comptes rendus
de l’époque disent qu’environ 2000 individus (y compris les 15 instructeurs
occidentaux) se sont rencontrés, et ont combattu, à un endroit appelé “5 Cent
Gulch”. Le combat fut bref. Après quelques volées de mousquets les Yan Wo,
nettement sous armés, se retirèrent. On
lit qu’il y eut 7 morts et 26 blessés graves.
La communauté
blanche locale s’amusa de ce conflit et regardait ça de loin, comme un match
sportif. Une gravure de l’événement fut vendue à San Francisco . En temps
normal on ne pourrait pas considérer ce médium comme une preuve (de l’existence
des hudiedao) mais le Weaverville Museum et le Temple taoïste local
(devenu California State Park and historic
landmark) ont conservé un certain nombre d’armes de cette bataille précise. Des
couteaux papillon assez bruts, produits localement, avec leur garde en D, des
tridents, des dao font partie de cette collection. (Le dao est une arme robuste
possédant une lame à un seul tranchant. Il est utilisé principalement pour
tailler et bloquer solidement ). Nous avons là la plus
ancienne preuve concernant les armes chinoises présentes en Amérique.
Cet événement
tragique de 1854 à Weaverville est intéressant à bien des points de vue. C’est
un exemple bien documenté de l’organisation milicienne et de la violence de la
diaspora chinoise. Le fait d’introduire des instructeurs extérieurs à la
communauté, le fait de se reposer sur des fabricants locaux, d’ajouter des
armes à feu sont tous typiques du mode de fonctionnement qu’on voyait à
Guangdong.
Nous n’avons pas là
de groupes composés de gentilshommes, mais bien une violence intercommunautaire
organisée par les Tongs. Ce modèle se retrouva fréquemment parmi les membres
immigrés de la communauté chinoise dans les années 1930.
Sachant que la
première école d’arts martiaux chinois à ouvrir en Californie ne le fut que
dans les années 1930, les comptes rendus de l’entraînement des milices à
Weaverville sont un des plus anciens exemples connus concernant le sujet.
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