dimanche 14 mai 2017

Les doubles couteaux dans les arts martiaux en Chine du sud [partie 8]

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Texte de Benjudkins, traduit et adapté par Véronique

Au début des années 1900 un photographe du nom de Arnold Genthe a fait une série de photos à présent célèbres de résidents chinois de San Francisco. Ce sont essentiellement des scènes de rue, de la vie quotidienne. Une photo toutefois sort du lot. C’est celle d’un artiste martial pratiquant un exercice avec deux épées, des hudiedao. Derrière lui, au sol, se trouvent deux bâtons taillés à l’une des extrémités. Ils étaient certainement aussi utilisés dans son numéro, et pouvaient également servir à déployer une bannière.

Des textes anciens, de Guangzhou ou d’autres villes du Sud de la Chine parlent fréquemment de ce type d’artiste de rue itinérant. Ils utilisaient leurs connaissances martiales pour attirer les foules et ensuite vendre des médicaments, porte bonheur et autres babioles, ou passer un chapeau pour récolter des fonds après leur performance. C’est la seule photo du XIXe siècle que je connaisse et qui montre un tel personnage en Californie.
Leur vie n’était pas facile, et ils étaient souvent la cible de violences ou d’extorsion, que ce soit de la part des autorités ou des autochtones. Beaucoup d’entre eux se trouvaient à utiliser leurs connaissances à des fins autres que le spectacle.

Sung Chi Liang, dit Daniu, "Grand Bœuf"

Arnold Genthe a collecté des informations sur le sujet ainsi avons nous une idée de ce qui se passait en 1900.
“L’Homme de Pékin aux deux couteaux”, “le danseur des sabres” sont différents titres qu’il donna aux portraits de Sung Chi Liang, très connu pour ses qualités d’artiste martial. On le surnommait aussi Daniu ou “Grand boeuf” du fait de sa grande force. Après ses spectacles il vendait une pommade à base de plantes appelée tiedayanjiu (tit daa yeuk jau (note de Orphée : une sorte de dit dat jow) et servant à soigner les hématomes dus aux combats ou aux chutes.

Cette photo précise a été faite devant les 32/34 et 36 Waverly place côté Est de la rue, entre les rues Clay et Washington. Près des deux spectateurs à droite on voit un présentoir en bois qui, avec un récipient de rinçage, servait à signaler que le barbier chinois d’à côté était ouvert. L’escalier qui descend est celui d’un petit restaurant chinois avec spécialité de morning zhou (juk), à savoir du porridge de riz.
Les hudiedao de Dainu sont plus courts et plus épais que la plupart des modèles du XIXe siècle décrits précédemment. Certains se demandent si ce modèle n’est pas devenu populaire au début du XXe siècle car plus facile à cacher. Ces lames semblent être prévues plus pour la taille que l’estoc et ressemblent fortement aux bat cham dao qu’on voit aux murs des écoles de wing chun de nos jours.

Lin espérait que ses troupes combattraient les Britanniques avec ces armes, et les épées qu’on voit sur la photo de G.Harrison Gray sont clairement suffisamment longues pour cela. En comparaison les “épées” de Dainu ont à peu près la taille d’un grand couteau Bowie du XIXe siècle et sont sans doute trop courtes pour un combat à l’épée. On peut supposer qu’elles servaient plutôt contre un ennemi désarmé, ou contre une seule personne armée d’une hachette ou d’un couteau.

La photo suivante (dont l’auteur est inconnu) a aussi été prise à San Francisco vers 1900, elle montre une compagnie d’opéra cantonaise présentant une pièce “militaire”. Sans doute une photo pour un article de presse ou une affiche de spectacle. Il est intéressant de se pencher sur l’assortiment d’armes qu’on y voit. Les soldats les moins gradés portent un bouclier et un seul couteau en forme de hudiedao. Les personnages plus importants, ceux aux rôles héroïques, portent une paire de vrai hudiedao. Et enfin, les personnages principaux portent tous des lances ou des tridents.


Les troupes d’opéra cantonaises étaient très attachées aux arts martiaux et aux armes pour ce qui se rapporte à leurs représentations. Bien que leur but ait été de divertir et non d’être réalistes ils savaient que dans le public un certain nombre de personnes avait une expérience en arts martiaux. Leur public était assez sophistiqué et s’attendait, naturellement, à un certain degré de “crédibilité” dans les pièces à thème militaire.

Il n’était pas rare que les troupes se fassent une concurrence sévère pour être la première à introduire un nouveau style de combat ou une nouvelle arme exotique sur scène.
Sur notre photo la répartition des armes n’est pas anodine. En effet, se servir d’une lance ou d’une hallebarde exigeait un degré de subtilité et d’expérience bien plus grand que ne l’était nécessaire le fait de se servir d’une lame courte derrière un bouclier d’un mètre.

Nous savons également que le gouvernement de Guangdong fournissait des hudiedao aux mercenaires et aux milices des villages. Les soldats impériaux, d’un statut supérieur, étaient censés maîtriser toutes sortes d’armes plus nobles, parmi lesquelles les armes à feu de l’époque (platine à mèche), l’arc, la lance, le sabre etc.
Bien que beaucoup de hudiedao antiques que nous avons retrouvés aient des gardes décorées et des lames de belle facture, je suppose qu’historiquement parlant ce type d’armes était l’exception plutôt que la règle générale.

Exemple d'armes à platine à mèche de la dynastie Ming

Vous trouverez d'autres photos d’Arnold Genthe ici.
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