dimanche 16 mai 2021

Thierry Cuvillier

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Une traduction de Véronique, merci à elle !

Thierry Cuvillier arriva à Taipei en 1999, avec seulement un sac à dos et l’adresse d’un maître du wing chun dont il espérait devenir l’élève. Aujourd’hui, pratiquement 20 ans plus tard, après avoir lui-même enseigné à plus de 200 élèves, il songe à rentrer chez lui.
 
 
 
C’est une soirée d’hiver à Taipei, une fine bruine tombe sur le District Daan. Dans une petite allée, près de Si Wei Road, près d’un marché traditionnel, au milieu des nombreux immeubles d’habitation, tout neufs, qui ont poussé comme des champignons, il y a un endroit qui tient depuis des décennies. 
La Thierry Cuvillier International Wing Chun Academy a des airs de société secrète. Pour s’y rendre, les visiteurs doivent passer par le sous-sol d’un immeuble résidentiel non répertorié. Descendre une volée de marches, puis laisser l’odeur et les sons d’une salle d’arts martiaux envahir ses sens, la lumière crue des néons au plafond, le revêtement de sol en bois vernis, l’odeur de la transpiration, et le son des coups portés sur le muk yan jong, le mannequin de bois. 
 
Ce soir-là il y a une douzaine d’élèves qui pratiquent leur art. Ils travaillent d’abord individuellement, puis forment des paires pour les exercices de combat manuel. Pour les encadrer et les guider, il y a un homme qui a donné son nom à l’académie. 
Thierry Cuvillier, 45 ans, est le sifu, le maître. Il est l’homme recherché par les élèves du monde entier, certains ayant fait le voyage jusqu’à Taipei juste pour avoir l’honneur d’apprendre de lui. Mais il fut un temps où l’affable Parisien était comme ceux qui viennent le trouver. Pas grand-chose de plus qu’un gamin avec en poche le nom d’un maître, et l’adresse d’une salle à Taipei, notés sur un bout de papier, et en tête le rêve de pouvoir amener son entraînement à un niveau plus élevé. 
 
Cuvillier, de son propre aveu, était un enfant difficile de la banlieue de Villejuif, pas très loin de Paris. Arrivé à l’adolescence il devint évident que le système scolaire n’était pas fait pour lui. 
« En classe j’avais du mal à suivre, c’était donc un problème pour ma famille et pour le professeur. Je n’arrivais pas à me concentrer. C’est pourquoi mon père avait décidé de me retirer de l’école. » 
De là le jeune Cuvillier décrocha un diplôme de boulanger. Puis, à l’âge de 18 ans, toujours incité par son père, il fit son service militaire. 
« A l’armée vous ne pouvez pas être qui vous voulez, vous ne pouvez pas faire ce que vous voulez. La discipline m’aida à être plus concentré. J’aimais ça, en fait j’aimais tous les exercices. C’était un challenge : prouver ce que je pouvais faire. Cela m’a aidé à changer. » 
 
Dans le cadre de sa formation on a envoyé Cuvillier en Allemagne pour apprendre le close combat, comment se défendre contre des attaques au couteau avec… rien. Il trouva là l’occasion d’utiliser intelligemment l’agressivité qu’il avait en lui. 
« Quand je revins à paris je me mis à chercher une école d’arts martiaux. » 
 
Pendant 6 années après que son service militaire se soit terminé, Cuvillier s’est entraîné au taekwondo. Un jour, après l’entraînement, un de ses amis lui parla de « boxe chinoise », intrigué Cuvillier trouva un maître de wing chun sur Paris. Et après deux ans d’entraînement en wing chun il prit la route. 
« Je cherchais quelque chose de plus difficile » se souvient-il, comme étant sa motivation à partir pour Taipei, à une époque où il ne parlait pas l’Anglais, et surtout pas le Mandarin ou le Hokkien. Il était alors au milieu de la vingtaine. 
« Mon professeur à Paris était bon, mais je ne trouvais pas avec lui ce que j’avais découvert lors de mes recherches sur le sujet, et ce que j’avais vu dans les livres. Mon rêve était donc d’aller en Asie, et trouver un maître qui m’enseignerait le vrai truc » 
 
Le maître auquel il pensait était Lo Man-Kam, le neveu du fameux Ip Man. 
 
Cuvillier avait suffisamment d’argent pour pouvoir vivre un petit moment et payer des cours de Mandarin à la Tamkang University. Il avait aussi l’adresse de Lo à Bade Road, au centre de Taipei. Et donc il débarqua dans la capitale de Taïwan en 1999. Peu après son arrivée il frappa à la porte de Lo et commença son chemin sur la voie qui deviendrait toute sa vie pour les deux décennies suivantes. 
 
« Quand j’ai rencontré Sifu il m’a demandé si je m’étais entraîné en wing chun et je dis Oui, un peu, je me suis entraîné deux ans en France. Et il répondit Bien bien bien, va te changer et monte sur le toit, on commence aujourd’hui. » 
L’entraînement avec son nouveau maître n’avait rien à voir avec ce qu’il avait expérimenté en France. 
« Sifu vint me rejoindre et me dit Ok, on va faire la première forme. Donc je pris et maintins ma position neutre. Il resta en face de moi pendant environ 2 minutes puis dit Ok, c’est bien. Et je restais là, comme ça, pendant deux heures. » 
 
Les leçons de maître à étudiant étaient comme ça, d’une lenteur angoissante mais nécessaire. C’était une perpétuelle recherche de la perfection, un dépassement du stade de la douleur, de la frustration et une dissolution de l’ego. Il fallut 13 ans à Cuvillier pour atteindre le niveau de Senior Instructor (7ème degré) niveau que peu de pratiquants de wing chun atteignent. 
 
 
D’assistant du maître, Cuvillier progressa jusqu’à entraîner des élèves lui-même. En 2004 il enseignait le wing chun à la Taipei European School. Il ouvrit un certain nombre d’écoles autour de Taipei, en général dans des quartiers défavorisés et bruyants dont les voisins se plaignaient. Puis finalement il déménagea à son adresse actuelle. 
 
Il a eu plus de 200 élèves, la plupart de jeunes adultes, leur demandant la modeste somme de 3500 dollars taïwanais (120 US Dollars) par mois pour assister à 6 cours par semaine. 
 
A côté de cela il a aussi pris l’habitude de méditer quotidiennement, afin de bien dormir, reposer son corps et son esprit. Il pratique aussi le yoga pour rester souple. Et il va nager pour améliorer son cardio. 
 
A présent, après 20 ans à Taipei le français songe à retourner au pays. 
 
En Novembre Cuvillier ira à Montpellier, dans le sud de la France, pas loin de la Méditerranée. Là il espère ouvrir une nouvelle branche de son académie profitant de la manne touristique et des expat’, ce qui manque à Taipei. 
« C’est pas que je sois vieux, mais le temps passe. Est-ce que je veux vraiment rester ici, à Taipei, pour toujours et gérer mon école ainsi ? Est-ce que je veux le faire pendant encore 5 ans ? 10 ans ? Partir ensuite ? Mais quitter Taipei à 50 ou 55 ans ça ne sera pas pareil de tout recommencer ailleurs. » 
 
Ce déménagement est la continuité d’un processus de vie, qui a vu un jeune homme rebelle devenir un homme avec un but, du tempérament et de la sagesse. 
 
Dans ce monde où tout doit aller vite Cuvillier et beaucoup de ceux qui sont venus le trouver, ont découvert le calme, la clarté et la confiance que procurent les arts martiaux. Il ne fait pas de doute que d’autres continueront à rechercher ces trésors, et peu importe où les mènera ce voyage. 
 
Depuis il a bel et bien ouvert une école à Montpellier !
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