dimanche 10 avril 2022

Wing chun et handicap : aveugles et malvoyants [partie 5]

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Je décide alors de corser un peu les choses en ajoutant de nouveaux éléments. Comme il y a un peu de bruit, j’élève légèrement la voix, juste ce qu’il me faut pour me faire entendre et j’explique l’exercice suivant pendant que les stagiaires continuent avec mes assistants :
« Super ! Comme ça a l’air trop facile pour vous, je vais un peu vous compliquer la tâche ! Avec mes assistants nous allons vous ajouter deux possibilités. La première : nous arrêtons d’utiliser nos bras, créant une ouverture. S’il n’y a plus rien en face que faites-vous ? Vous utilisez vous coups de poings enchaînés. Nous nous débrouillerons pour reprendre le mouvement normal. Démonstration ! »
 
Avec mes assistants nous nous exécutons et je laisse Valérie enchaîner quelques coups de poings sur mon torse avant de reprendre le contrôle en bloquant un coup de poing droit de ma binôme et en contre-attaquant pour la forcer à se défendre.
 
Valérie s’est d’ailleurs rendu compte pendant cet exercice que ma veste comportait de curieux boutons, il s’agit tout simplement des nœuds en forme de boule de ma veste d’entraînement. Je lui explique qu’il était important pour moi de porter ma tenue d’enseignant, tenue de cérémonie, comme je le fais à chaque fois que je donne cours car ce n’est pas parce que les élèves ne la voient pas que je ne dois pas les respecter en portant cette tenue. Valérie m’a alors dit qu’elle trouvait cela très appréciable.
A un autre moment du stage elle me disait aussi qu’elle sentait que le sol était propre et que c’était agréable. Je lui avais alors dis que c’était normal pour moi d’offrir un environnement de travail sécurisé, mais également propre.
 
Quelque part, cela m’a vraiment fait plaisir que ces attentions soient remarquées et appréciées. Je l’ai fait parce que c’est normal, mais je ne m’attendais pas forcément à ce que cela soit perçu.
 
« Ça c’était la première possibilité. La deuxième maintenant, votre binôme va reculer et vous allez immédiatement le suivre. C’est là que vous vous rendez compte qu’il est important de garder du contact avec sa jambe avant puisqu’en reculant il va tirer votre propre jambe et vous allez immédiatement le suivre. Comme vous êtes assis sur la jambe arrière, vous commencerez par avancer la jambe avant sur laquelle vous avez le moins de poids possible, puis vous allez transférer un bref instant le poids sur celle-ci afin de vous tirer vers l’avant, puis vous replacerez votre poids sur la jambe arrière. Pas d’inquiétude, nous allons le faire ensemble, et si ça n’est pas clair, je vous le réexplique avec d’autres mots ! »
 
A mon signal les assistants et moi-même reculons d’un pas, je recule doucement pour laisser à Valérie la possibilité de réagir, mais elle s’en sort très bien, de même que les autres étudiants.
« Excellent ! Vraiment super. Du coup votre binôme va alterner ces deux possibilités avec les coups de poings normaux. »
 
J’ai beau regarder les autres binômes, je laisse Valérie quelques instants pour faire un tour du groupe et répondre aux éventuelles questions.
Après mon tour, j’en profite pour expliquer la partie suivante :
 
« Tout le monde, j’ai vu des choses très bien, je vous avais dit que nous travaillerions également sur des coups de pied, c’est donc ce que nous allons faire. Le premier coup de pied sera circulaire. Nous allons déjà le travailler sans les mains. »
Je leur explique alors que la personne attaquant va reculer sa jambe avant derrière sa jambe d’appui selon un arc de cercle et transférer le poids. La jambe qui servait jusqu’alors de jambe d’appui va venir mettre un coup de pied circulaire en direction du tibia ou du genou du partenaire.
La réponse attendue est de venir remonter à l’entrejambe de l’adversaire mais pour des raisons évidentes, ils vont viser la cuisse, ce qui implique de décaler légèrement sa frappe. Les stagiaires n’ont aucun souci à intégrer cette partie et je rajoute donc la partie avec les bras.
 
Dans un premier temps l’attaquant vient bloquer avec pak sao sur le coup de poing de son binôme et au lieu de frapper à son tour, il met sa main en protection (wu sao) et vient alors reculer sa jambe. Son binôme met lui aussi sa main libre en protection et défend le coup de pied en visant la cuisse du partenaire. Mes stagiaires étaient malvoyants voire non voyant, c’eut été une erreur de croire qu’ils sont incapables de viser, bien au contraire.
 
Après son coup de pied, l’attaquant vient immédiatement attaquer avec un coup de poing, d’où l’intérêt de bien garder une main en protection.
Lorsque je leur ai expliqué qu’ils devaient garder une main en protection, je leur ai expliqué que si une main ne fait rien, elle doit immédiatement se placer en protection afin de pouvoir soit protéger, soit servir à attaquer. Une main qui ne fait rien peut aussi bien être mise en poche, autrement dit : elle est inutile.
 
Pour le second coup de pied, je procède de même, d’abord sans les bras, je leur explique que l’attaquant va venir décaler légèrement sa jambe d’appui afin d’être face à celle de son binôme et de son autre jambe venir frapper la jambe d’appui du binôme avec un coup de pied droit visant normalement le genou.
La réponse face à un tel coup de pied est de le balayer avec sa jambe avant en venant perpendiculairement à l’attaque. Volontairement je demande aux attaquants de venir exécuter leur coup de pied en laissant légèrement leur jambe remonter le long de celle de leur binôme afin d’aider à sentir le coup de pied venir. Je réalise une séance d’initiation, pour un public présentant un handicap visuel, il m’a donc fallu légèrement adapter le programme de réflexes comme je le fais avec ce coup de pied.
 
Je laisse là aussi les stagiaires procéder avant d’ajouter les mains. Au départ c’est très similaire au coup de pied précédent : blocage, main en protection, le partenaire met également sa main en protection, puis l’attaquant se décale et réalise son coup de pied.
Là aussi je les laisse faire, tout en pratiquant avec Valérie, avant d’aller faire un tour des quatre autres groupes pour voir si tout va bien.
 
Nous faisons une rapide pause le temps pour chacun d’aller boire un thé au bureau puis je relance la séance avec la dernière partie pratique : la vérification des acquis.
Il s’agit ni plus ni moins pour chacun de tester l’un des stagiaires sur trois ou quatre applications vues durant le stage. Mon but n’est pas de les prendre en défaut mais de leur permettre de se remémorer certaines choses travaillées aujourd’hui.
Cette fois je travaille avec Yassine et choisis de la tester sur l’étranglement par derrière, la saisie aux poignets et enfin la saisie par la taille sans emprisonner les bras.
 
Les deux premières applications se passent sans problème, pour la troisième, je suis obligé de lui rappeler quelques petites choses, comme le fait de finir avec des coups de poings enchaînés. Cependant c’est pas mal du tout et comme je l’expliquais pour le programme de réflexes, j’utilise l’approche positive en mettant en avant les points positifs :
- tu as pensé à descendre dans tes appuis pour abaisser ton centre de gravité ;
- la technique était globalement bien exécutée.
Avant de passer aux axes d’amélioration :
- N’oublie pas de poursuivre avec des coups de poings enchaînés.
 
Pour finir j’apporte les certificats. Initialement nous voulions réaliser des certificats en braille, mais malheureusement l’imprimante de l’AAAL ne permettait pas de faire du format A5 en braille. Avant de les leur remettre, je leur rappelle que pour qu’une technique de self-défense sorte en cas de besoin, il faut la pratiquer encore et encore et qu’ils ne doivent pas hésiter à pratiquer entre eux.
Je remets à chacun des stagiaires un certificat de participation nominatif, sorte de diplôme, et leur lis ce qui est écrit dessus.
Mes assistants et moi-même les applaudissons pour les féliciter et je les remercie une fois encore pour leur participation.
 
Après cela nous nous mettons en place pour le salut et je clôture la séance. La séance terminée, je discute encore un peu avec les stagiaires, petit à petit nous les raccompagnons jusqu’à ce que je sois seul avec mes assistants que je remercie pour leur aide.
Je me souviens de quelques mots de Pierre lors du premier stage qui nous avait remerciés de les avoir traités comme des personnes normales et pas comme des handicapés. C’était mon but mais cela m’a fait vraiment plaisir, le cours lui a apporté quelque chose de positif, il a passé un bon moment et est revenu tout comme Valérie et Yassine. Je ne prétends pas pouvoir faire ressentir la venue d’une attaque à mes stagiaires mais je pense que si leur agresseur vient au contact, ils disposent à présent de quelques atouts pour se protéger.
 
Je m’occupe ensuite de ranger la salle, puis rentre chez moi en repensant au stage, à ce qui était réussi, ce qui pourrait être amélioré et à ce que nous pourrions aborder la prochaine fois.
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